CONSPIRATIONNISME : LE BOULET DE LA CRITIQUE SOCIALE

                 « Ils sont partout ! » Qui ? La CIA, les sionistes, les Juifs,  les francs-maçons, etc…
conspiration
Les théories du complot n’ont cessé de se développer depuis dix ans, et cela n’a rien de réjouissant. Car, après les superstitions et les religions, elles constituent de nouvelles œillères, une nouvelle entrave à la révolte, en obscurcissant la compréhension du capitalisme et de l’impérialisme.

Or, si avec le mystère et le complot on peut faire de la bonne télévision et un cinéma distrayant, on ne peut faire que de la mauvaise politique. Et c’est tout le problème que pose le « conspirationnisme », cette sorte d’aliénation de la pensée qui imagine qu’à l’origine de tout événement historique, il y a la conspiration d’un groupe occulte suffisamment puissant pour tirer d’innombrables ficelles, tout en restant bien entendu hors de la vue du commun des mortels.

À l’explication visible – soit officielle, soit communément admise – comme à l’inexpliqué temporaire, le conspirationnisme oppose une explication cachée, accessible uniquement à ceux et celles qui sauront en décrypter sans fin les indices alimentant une grille de lecture globale. Dans l’imaginaire conspirationniste, aucune place n’est laissée à l’imprévu, au non-intentionnel, au hasard, à l’erreur. Toute coïncidence est révélatrice. L’enchaînement des évènements relève obligatoirement d’une causalité parfaite et maîtrisée par ses protagonistes secrets.

Signe des temps, comme à chaque poussée de conspirationnite aiguë, les Illuminatis  sont de retour. Ou plus exactement leur mythe. Le Mouvement des damnés de l’impérialisme (MDI), groupe d’extrême droite de Kemi Seba, les place au cœur de son combat contre les « puissances occultes ». Le Libre-Penseur, un dentiste marseillais qui, entre deux plombages, est devenu l’un des conférenciers vedette d’Égalité et Réconciliation, autre groupe d’extrême droite piloté par Alain Soral, en fait une obsession.

Le conspirationnisme, en inventant des causes fantaisistes à des événements bien réels, obscurcit en fait les véritables mécanismes du marché, du capitalisme et de la globalisation, qui, pour révoltants qu’ils soient, sont tout ce qu’il y a de plus logique. Comme si les conspirationnistes ne pouvaient pas admettre que le capitalisme est en soi un système pervers, et qu’ils avaient besoin d’en faire porter la responsabilité à des groupes occultes. Un exemple ? Le groupe Bilderberg. Celui-ci existe réellement. C’est un séminaire qui rassemble une fois par an la crème des classes dirigeantes occidentales pour des conférences et des pourparlers divers. C’est typiquement une institution qui, par sa seule existence, nous en apprend sur le caractère de classe et non démocratique du système capitaliste. Mais sa confidentialité suscite la curiosité. Les conspirationnistes lui attribuent du coup des pouvoirs démesurés et maléfiques. Le sommet de Davos est de même nature : c’est un lieu où un grand patron se doit d’être vu pour prouver qu’il compte ; idem pour un politicien. D’ailleurs, il n’est nullement besoin de Bilderberg ou de Davos pour que les milieux des affaires, politique et médiatique se fréquentent. Les réseaux de sociabilité et de reproduction de la bourgeoisie suffisent amplement. Tout cela ne relève pas du complot, mais d’une connivence de classe établie. Des sociologues l’étudient. Il suffit même de lire Point de vue pour le constater : capitaines d’industrie, politiciens, aristocrates et stars de la télévision se fréquentent et marient leurs enfants ensemble. Vous voulez un groupe plus influent en France que les francs-maçons et les illuminatis réunis, sans complot ni société secrète ? Ça s’appelle le Medef, l’UMP et le PS…

Pour l’extrême gauche, le conspirationnisme pose problème, comme l’antisémitisme a posé problème au socialisme du XIXe siècle. L’aversion populaire pour l’image du « banquier juif » avait bénéficié d’une certaine complaisance chez les socialistes et les anarchistes, qui, bien que n’en étant pas dupes, pensaient que l’antisémitisme populaire pouvait alimenter l’anticapitalisme. L’Affaire Dreyfus leur montra qu’il alimentait en fait surtout l’extrême droite. Ils s’en mordirent les doigts et déclarèrent que l’antisémitisme était en fait « le socialisme des imbéciles ». Aujourd’hui, le conspirationnisme est le nouveau « socialisme des imbéciles », qui sous couvert de subversion, simplifie le monde, instille de l’irrationnel dans la pensée, discrédite la critique sociale radicale, et au bout du compte décourage toute action collective – à quoi bon agir en effet puisque « tout est joué d’avance » par les « maîtres occultes » ? Comme les diverses religions et superstitions, le conspirationnisme est un ennemi, et il est temps de le dire.

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« Le conspirationnisme est une passerelle vers l’extrême droite »

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