Le « droit à l’information » et l’« indépendance » revendiqués sont, dans la pratique, ceux des patrons de presse et de rédaction, et rarement le fait des journalistes-reporters dont on a vu à quel point, dans les grandes rédactions, les marges d’initiatives sont très réduites. Ceux et celles qui affirment être indépendants au motif que leurs propositions de reportages sont systématiquement adoptées… ont été généralement choisis pour leur ajustement à la ligne éditoriale.
En 2015, la profession ne devait pas seulement commémorer les 10 ans des « émeutes » de 2005, mais aussi les dix ans de la création de BFM et du passage de i-télé sur la TNT. En dix ans, la concurrence médiatique s’est ainsi exacerbée et les audiences se sont fragmentées. Les logiques économiques sont donc très pesantes, également sur l’audiovisuel public qui reste dépendant des ressources publicitaires (en recul) et qui est sommé par le gouvernement de réduire ses dépenses. Concrètement, les rédactions nationales de France 2 et de France 3 vont fusionner. Comme l’avait montré Patrick Champagne, la dépendance des rédactions aux contraintes économiques est bien réelle.
Dans ce contexte de lutte concurrentielle, les informateurs jugés stratégiques pour devancer les concurrents sont d’abord traités comme des alliés. C’est le cas des sources policières, qu’il s’agisse de la direction départementale de la police, et de la gendarmerie dans les médias locaux, comme du ministère de l’intérieur, de la préfecture de Paris ou des syndicats de police dans les grandes rédactions nationales.
Cela apparait de manière particulièrement flagrante aux moments des attentats, où les journalistes spécialisés Police, habituellement dans l’ombre, sont invités sur les plateaux pour aider les présentateurs à tenir l’antenne des heures durant, alors que toutes les chaînes font de l’information continue, en relayant en temps réel les informations émanant des forces de l’ordre, avec les dérives que l’on connaît.
On y voit aussi des anciens patrons du RAID, du GIGN, ou d’anciens magistrats, autant de relations qui apparaissent sous la lumière des projecteurs mais qui ont été construites dans la durée. Car pour obtenir des informations « exclusives » et alimenter la rubrique des faits divers, il faut entretenir une relation privilégiée et quotidienne avec les forces de l’ordre. C’est valable dans les médias locaux comme nationaux. Mais la particularité de l’usage des sources policières par les journalistes, c’est surtout qu’elles sont rarement traitées comme un point de vue spécifique sur le monde et sont perçues comme « neutres ».
La propension à remettre en question leur information est quasi inexistante par rapport à des informateurs sollicités dans d’autres domaines. Elles font « autorité » auprès des journalistes, et la remise en cause ne survient vraiment que quand elle est portée par une autre source… policière, la police des polices. Mais le plus intéressant encore est de voir comment, au contact régulier des sources policières, les journalistes tendent à reprendre leur vocabulaire, et leurs catégories pour décrire le monde.
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